Le maître ignorant
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans les articles précédents, Jacques Rancière fait partie des auteurs qui éclairent sous un angle toujours pertinent de vieilles problématiques dont nous pensions, dans notre grande humilité, avoir un peu fait le tour. Dans Le maître ignorant, en appui sur l’histoire de Joseph Jacotot, il développe sa réflexion sur la nécessaire égalité des intelligences qui seule peut conduire à l’émancipation intellectuelle et à la destruction des procès de domination. Ce texte salvateur permet, entre autres, de nous remettre en tête la raison d’être des institutions (et notamment de l’instruction publique) : reproduire l’ordre social et légitimer les inégalités.
Cet ouvrage m’a donné envie de me replonger dans « La Reproduction. Elements pour une théorie du système d’enseignement » de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. Le combat n’est jamais fini contre les totems de la méritocratie et du « rattrapage » des inégalités. Il nous faut sans cesse sortir de nous-même pour ne pas céder à l’attrait de la cape du toréador, ne sentant pas que ses banderilles nous mettent peu à peu à terre.
C’est un livre qui parle donc de liberté, d’émancipation au sein plein du terme, de la révolution paradigmatique que constituerait la reconnaissance de l’égalité des intelligences. Si l’on reconnait l’égalité des intelligences, il n’y a rien à expliquer et le maître peut-être ignorant.
« L’Instruction est ainsi le bras séculier du progrès, le moyen d’égaliser progressivement l’inégalité, c’est – à- dire d’inégaliser indéfiniment l’égalité. Tout se joue toujours sur un seul principe, l’inégalité des intelligences. Ce principe admis, il n’y aurait, en bonne logique, qu’une seule conséquence à en déduire : la direction de la multitude stupide par la caste intelligente . Les républicains et tous les hommes de progrès sincères sentent leur coeur se soulever à cette conséquence. Tout leur effort est d’accorder le principe en refusant la conséquence1 »
1 P218 – Jacques Rancière « Le maître Ignorant, édition 10/18 Fayard