Freshkills: construire l’avenir sur un monceau d’ordures
Si vous pensez trouver dans Freshkills de Lucie Taieb une enquête détaillée sur ce qui a été une des plus grandes décharges au monde à ciel ouvert sur Staten Island vous êtes sur la bonne voie mais vous êtes loin du compte. Ce livre, qui est avant tout une oeuvre littéraire, nous interroge sur notre rapport aux déchets, aux ordures, aux rebuts en tous genres. Quelles sont nos frontières du pur et de l’impur ? Quel est le prix à payer pour pouvoir vivre dans l’illusion d’un monde propre, lisse, ordonné ?
La question est de savoir ce que dit de l’humanité le fait de vouloir éloigner, cacher, enfouir et surtout reconstruire sur nos déchets ? Quelle philosophie préside au fait de s’en remettre au solutionnisme technologique pour prétendre résoudre les problèmes que nous n’avons pas voulu affronter, préférant la consommation envers et contre tout, générant des milliers de tonnes de déchets que nous tentons de mettre sous le tapis au mépris des conséquences écologiques.
Ce texte interroge ainsi notre rapport au temps, à la flétrissure, à la déchéance et, au bout du compte, à la mort. Il est un voyage dans nos non-dits, nos armoire pleines de cadavres, nos lâchetés … sur lesquelles nous essayons de construire un monde se voulant propre et vertueux. Tentative vouée d’avance à l’échec, aucune édification solide et pérenne possible sur la corruption.
Nous n’avons pas construit nos sociétés que sur des guerres, des génocides, la colonisation, l’esclavage … mais aussi en abdiquant devant l’ultra consommation et sa production incontrôlable de déchets qui nous rongent et nous empoissonnent (à tous les sens du terme) ; oblitérant ainsi notre capacité à penser l’avenir.
J’attends avec impatience qu’Elon Musk puisse nous proposer d’envoyer tout ça dans l’espace pour éloigner toujours plus loin le revers déliquescent et sale de la pièce brillante et sans tâches de notre civilisation.
