Joue de la flute avec Bégaudeau

Joue de la flute avec Bégaudeau

A un moment de l’histoire où nos bons parlementaires acceptent de s’affronter dans des débats dont les contours ont été soigneusement dictés par la majorité présidentielle en utilisant des formules et des concepts dont on a l’impression parfois qu’ils ne maîtrisent pas les définitions; voici un livre salvateur de François Bégaudeau (encore un) qui s’attelle à déconstruire et mettre à jour la mise en mots de l’imaginaire capitaliste. 

Nommer les choses, forger des mots c’est faire exister un paradigme de pensée qui devient vite une prison et un piège pour celui qui ne prendrait garde à refuser une base biaisée aux discussions. 

A travers ses « boniments », François Begaudeau nous montre comment le langage du capitalisme nous enferme dans des cadres qui ne permettent pas la réflexion et surtout la remise en cause de croyances érigées en réalités indépassables. Déconstruire le langage des dominants c’est retrouver des degrés de liberté et pouvoir affirmer que oui, il existe des alternatives. 

Pour vous mettre l’eau à la bouche voilà ce que l’on peut lire au détour du chapitre « Transition » : 

« L’individu libéral professe la nuance. Parfois il avoue entre guillemets qu’il envie les gens nantis de certitudes, car il est mille fois plus difficile de défendre une position nuancée (citer Camus) et complexe (mentionner Edgar Morin). La nuance est sa croix, son sacerdoce dans une époque fanatique où même les évidences sont remises en cause : l’évidence de la supériorité de nos démocraties, l’évidence de la rondeur de la Terre.

Le libéral regrette que sur les réseaux qu’il fréquente on s’invective, s’insulte, se lance des fatwas.

On ne sait plus se parler. Défendre son point de vue tout en respectant celui des autres. Défendre avec nuance la retraite par points tout en respectant ceux qui la subiront.

Entre le pour et le contre, une position médiane est toujours possible. Entre la peine de mort et l’abolition est possible la perpétuité non compressible.

Entre l’immigration et la remigration, l’immigration choisie. Hélas certains refusent les compromis, s’accrochant obstinément à leurs positions. On a vu ainsi des salariés s’accrocher des mois à des emplois qu’il était pourtant raisonnable de supprimer.

Parfois, bien malgré lui, le libéral doit renoncer au compromis. Lui qui déteste imposer se voit dans l’obligation morale d’imposer son avis. Il aimerait tant qu’on puisse à la fois sortir du nucléaire et y rester, à la fois privilégier l’offre et la demande, le capital et le travail.

Il aimerait tant dénoncer les violences policières sans laisser croire qu’elles sont structurelles, développer le réseau autoroutier sans manger des terres cultivables, extraire du cobalt sans aucune mort de mineur. Il aimerait tant qu’on recommande vivement à ceux qui nous achètent des armes de ne pas les utiliser⁠1 ».

Lorsque vous n’arrivez pas, ou pas assez vite, à convaincre le conducteur du véhicule que la route empruntée mène directement au précipice. Il devient nécessaire et urgent de trouver les moyens de détruire le GPS qu’il a incorporé ou, tout du moins, de semer le doute sur sa fiabilité. Travailler à construire et à transmettre le cadre linguistique du changement et de la survie est une cause noble et indispensable, Begaudeau le fait depuis longtemps et il le fait bien. Puissent ces définitions tomber dans les mains des plus convaincus par la croissance, la transition, le marché, la résilience … Puissent-elles insinuer le doute et la tentation de freiner, juste pour voir… mieux. 

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1 p191-192

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