La gauche, l’Abbé Pierre et la figure toxique du héros
Dans Les Tontons flingueurs de la gauche, Philippe Corcuff et Philippe Marlière tentent de mettre des mots et une analyse sur la question qui devrait nous animer, nous, gens de gauche : comment s’unir pour tenter de résister à la prise de pouvoir du RN qui semble de plus en plus inéluctable ? Si la gauche a ainsi joué à se faire peur (notamment depuis 2002), la réalité la plus crue nous rattrape. Alors sommes-nous encore capables de faire front ? La réaction pour le moins inattendue et rapide de la création du NFP1 pour les législatives et la discipline qui a régné durant cette campagne nous laissait envisager un avenir moins sombre. Pourtant, les « figures » des différents partis n’ont pas pu s’empêcher d’envenimer les choses directement après le relatif succès qui plaçait la gauche en bonne place pour négocier. C’est bien ce que pointe les auteurs dans cet essai, la difficulté à faire collectif dans un espace politique de plus en plus personnifié. C’est à des individus nommés et influents qu’ils adressent leurs lettres les exhortant à faire leur autocritique et à arrêter de nous tirer des balles dans le pied. La « starification » du monde politique gangrène tout projet politique sérieux en laissant la bride sur le coup à des « responsables » souvent plus préoccupés par leur agenda propre que par la nécessité de se mettre au service d’une cause. Faire comme si un courant politique était incarné par un individu est délétère et pour le moins dangereux, il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour s’en persuader.
Il serait ainsi probablement salutaire de rappeler de manière un peu obsédante que la politique est un projet collectif et ne peut être privatisée par des élu(e)s auxquels on demande d’être des héraults ou des héros. L’époque a du mal avec le collectif et la collaboration. Elle adore créer des idoles pour mieux les mettre au bûcher dès que l’on se rend compte que cela reste des femmes et hommes ordinaires. Nous sommes des enfants qui refusons de grandir. Arrêtons de penser que quelqu’une ou quelqu’un va venir nous sauver, c’est complètement irresponsable vu les enjeux actuels. Bornons le pouvoir de nos représentants et probablement que nous pourrons aller plus loin dans l’unité. La personnification des projets collectifs tend très souvent à les détruire ou à les abimer lorsque le héros est tombé de son socle.
En témoigne la séquence concernant l’Abbé Pierre de ces dernières semaines. À force de faire reposer sur cet homme toute la symbolique de Emmaüs France, on arrive à un moment de l’histoire où, tout ce qui a été construit collectivement, est en train de vaciller. Dans un monde parfait, nous ne devrions pas être obligés de médiatiser les combats justes et oh combien nécessaires via des hagiographies, peu importe leur nature d’ailleurs. Nous n’avons pas besoin de héros ou de saints pour nous guider, nous avons besoin de croire et de mettre en œuvre des idées. Notre cécité sur cette question et cette inclinaison malsaine à vouloir « mythologiser » des humains nous amène au bord du gouffre et nous empêche de penser. Pire, cela nous dédouane d’un chemin intérieur prenant en compte la nécessité de construire une éthique personnelle.
Ne perdons donc plus d’énergie à faire et à détruire des idoles. Retrouvons une capacité collective à construire et à décider. Ériger et déboulonner des statues, baptiser puis débaptiser des places et des rues… voilà du temps perdu à un moment de l’histoire où, du temps, nous en manquons cruellement.
1 Nouveau Front Populaire
No Comment